A bout de souffle

Porte ta vie à bout de bras. Porte la et surtout, ne baisse pas les bras. Tiens bon, suis ton cap ; c’est dur mais tu vas y arriver. Tu souffres mais c’est pour avoir des jours meilleurs. Accroche-toi et lève toujours plus haut les bras. Surtout ne les baisse pas. Ne le fais pas, à moins que tu aies envie de te prendre ce bloc de marbre de quinze tonnes sur la gueule. Oui, tu traînes les pieds. Oui, tu trembles de fatigue. Oui, tu as la peau sur les os. Mais, c’est pour ton bien. Porte ta vie à bout de bras ; tu verras, tu seras tellement fière quand tu arriveras au bout. Non, ne t’écartes pas du sentier, tu vas y arriver ; après tout c’est tes rêves, tu ne vas tout de même pas y renoncer. Continue d’avancer, ne t’arrête pas, ne reprends pas ton souffle, ne ralentis pas, je te promets que ça en vaut le coup. Porte ce rocher vers le bonheur. Ton bonheur. Rappelle-toi, que toutes ces souffrances ne sont que de passage, et que ce fardeau qui te fait souffrir, ce fardeau qui t’abime les mains, c’est la première pierre de ta belle et resplendissante vie. Ne pleure pas, lève la tête, lève les bras, pousse sur tes muscles pour élever ce bloc qui sera ta vie. Ne lâche rien. Sois forte, toujours plus forte. Ce qui ne te tue pas, te rends plus forte.

Ne me regarde pas avec cette tête défigurée, cette balafre tu ne l’aurais pas si tu ne t’étais pas lamentablement vautrée sur le bitume le mois dernier ; je t’avais pourtant prévenue. Ce n’est pas un reproche, je sais que tu fais de ton mieux. Je constate, c’est tout. Tu ne vas pas encore te mettre à chialer ! Mais qui crois-tu être pour t’autoriser ce comportement ? Tout le monde à ses problèmes tu sais, alors ravale ta morve et avance. Dois-je te préciser que c’est tes choix qui t’ont amenée ici ? En quoi ton attitude pathétique est légitime ? Tu sais que j’ai raison, alors sois gentille, souffre en silence.

Elle se mordait les lèvres à sang. Alors qu’habituellement l’odeur de ce dernier lui faisait tourner la tête, elle était presque contente de sentir ce liquide âcre sur sa langue. Si elle saignait, c’est que son cœur battait toujours. Elle avait mal partout et ce bloc de rocheux semblait s’épaissir mètre après mètre. Elle était étonnée qu’il ne l’ait pas encore écrasée, elle était si faible qu’un coup de vent pourrait probablement lui casser les os. Sa vue était trouble et elle sentait sa sueur dégouliner sur son visage. A moins que ce soit ses larmes, ou peut être bien les deux. Des années qu’elle se traînait, elle allait finir par y arriver. Ne rien lâcher. C’était pour son bien. C’était pour sa vie qu’elle se battait aussi dur. Sa vie.

Elle dérapa sur un petit caillou et perdit l’équilibre. Le bloc de marbre s’écrasa sur sa jambe droite, elle hurla de douleur.

Tu ne peux pas rester concentrée deux minutes ? Ce n’est pas la peine de te plaindre comme ça, tout le monde a ses ennuis. C’est juste une jambe, tu en as une deuxième aux dernières nouvelles. Pleure un coup, mais après on repart. Pas trop longtemps quand même, tu es déjà lente ; on n’arrivera jamais au bout si tu t’obstines dans la médiocrité. Ce n’est pas un reproche, tu le sais bien. Mais fais un effort. Je ne peux pas tout surveiller en même temps, je ne suis pas super woman.

Elle regarda cette femme retirer sans le moindre mal du monde la pierre qui lui avait brisé le tibia. Comment elle faisait pour être aussi sûre d’elle ? Le rocher éloigné, elle admira ce qui fut un temps sa jambe droite.

Ne sois pas triste, ce n’est pas si grave. Ça va aller, on est bientôt arrivé. Tu es une battante, tu ne vas pas abandonner pour une si petite chose.

Elle regarda la femme lui sourire tendrement. Elle avait raison, ce n’était qu’une question de motivation. Elle essaya de se relever et glissa de nouveau. En voulant se rattraper elle s’écorcha les mains, déjà bien écorchées par le marbre. Elle eut un haut de cœur quand elle aperçut son os. Elle entendit soupirer.

Arrête de te morfondre, c’est fatiguant à la longue. Lève toi, reprends ton rocher et on repart ; mine de rien on a encore de la route.

La tendresse avait disparu au profit de l’agacement et d’un ton autoritaire. Elle lui faisait peur. Elle entendit un bruit sourd à côté d’elle. Un regard lui suffit à comprendre que son voisin avait baissé les bras, écrasé par son rocher, la première pierre de sa vie pleine de joie et de bonheur. Vie qu’il ne verra jamais. L’instructeur à ses côtés grogna et pesta contre le corps sans vie. Elle entendit le rire mesquin, à peine dissimulé, de la femme près d’elle.

Tu vois quand on est trop gentil avec vous ce qu’il se passe. Je tiens à toi, et c’est pour ton bien. Je ne te laisserai jamais baisser les bras. Jamais ; je t’en fais la promesse. Lève toi et allons y, plus tôt nous partons, plus tôt nous y seront.

Elle réussit à se lever au bout de longues minutes de torture. A peine sur ses pieds, son instructrice tenta de lui mettre son rocher dans les mains. Son corps prit le dessus et esquiva les quinze tonnes de marbre. Elle vit la fureur dans le regard de cette femme qui n’avait plus l’once de bienveillance. Son visage était ridiculement tordu par la colère qu’elle essayait désespérément de contenir. Cela lui décrocha un sourire. Depuis combien de temps ça ne lui était pas arrivé ? Elle commença à mélanger ses larmes et ses rires en se traînant vers le bord de la route.

Que fais-tu ? Non, arrête, ne vas pas par là ! Tu n’es pas comme tous ces ratés, tu vaux mieux que ça ! Hey, regarde-moi ! Reste sur le sentier, tu sais bien que c’est la seule vie qui vaut la peine d’être vécue ! Seule cette route peut t’apporter le bonheur que tu as toujours voulu !

Encore quelques pas et elle arriverait au bord de la falaise. Encore quelques pas et elle pourrait s’enfuir de cette route et sauter dans le vide.

Tu penses que tu es plus à même que moi pour savoir ce qui est bon pour toi ?!!!

Elle ria de plus belle. Quelle idiote elle avait été pendant toutes ces années. Elle montra son visage défiguré souriant à l’instructrice, puis leva sa main en sang pour lui dévoiler son majeur.

Elle se laissa tomber dans le vide sans savoir où elle arriverait et ni dans quel état. Pas de direction, pas de timing, pas de voie, juste l’inconnu.

Elle en avait assez de porter sa vie à bout de bras.

Maintenant elle la vivrait à bout de souffle.


 “No, I won’t let you win
Not this time my friend
You know that I’m better in the end
No, you won’t take my pride
I’ll keep my head held high
‘Cause I know that I’m better in the end”

The Westerner – Falling In Reverse


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A bout de souffle
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Un avis sur « A bout de souffle »

  • 17 novembre 2018 à 15h48
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    Bonjour! je reprends l’écriture après un long moment d’absence, du coup, en mettant à jour mon blog, j’en ai profité pour retourner voir le vôtre. J’y découvre des textes très sympa 🙂

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