Good Bye

Aujourd’hui j’ai du mal à me lever.

Si je reste dans mon lit, peut-être que je pourrais retenir le temps. C’est un mensonge. Je le sais bien. Mais je veux croire que ce n’est pas fini. Je regarde le plafond, c’est l’avant dernière fois que l’on s’observe. Il ne va pas me manquer, mais quand même ça me rend triste. C’est le premier pas vers la fin. Au bout d’une heure difficile, je sors enfin des draps.

Rien à faire, la motivation ne vient pas. Je n’ai simplement pas envie. Toutes les bonnes choses ont une fin paraît il. Certes, je l’admets. Mais cela n’empêche pas que ça me tords les boyaux et ça m’ennuie profondément.

Je ne veux pas partir.

Six mois, c’est tout ce que j’avais. Je le savais. Aujourd’hui c’est le dernier jour. Dès le premier jour, je savais que celui ci serait le dernier. Mais je n’avais pas imaginé une seule seconde que ce soit aussi dur. Six mois c’est tellement ridicule à l’échelle du temps. Et pourtant …

Je descends prendre mon petit déjeuner. Je n’ai pas faim. Mais il faut que je me force, je n’ai déjà rien mangé la veille au soir. Je prépare un bol de porridge avec moitié lait moitié d’eau, les réserves sont vides alors on improvise. Je le mets dans le micro-onde et vais chercher une banane. Elle est énorme, je vais vraiment avoir du mal à avaler ce petit déj’. Mais il le faut, hors de question d’affronter cette journée le ventre vide.

Je fais tout au ralenti, du coup je suis en retard. Je prendrais le bus; de toute façon je ne me sens pas le courage de faire le chemin à pied.

Petit déjeuné avalé presque sans encombre, maintenant direction la douche. Et je traîne encore. Je sais que ça ne changera rien, mais c’est inconscient. Et la fatigue doit jouer aussi ; la nuit n’a pas été aussi reposante que je l’aurais voulue.

Douchée, habillée, coiffée, je suis prête. Je cherche encore une ou deux excuses pour reculer l’échéance mais sans succès. Je passe mon sac sur le dos et sors de la maison pour me confronter à l’air frai d’un printemps un tantinet en avance.

Le bus arrive dans trois minutes, on ne peut pas vraiment dire qu’il m’aide pour le coup. Mon regard s’attarde sur ce paysage que je dois quitter. Je ne l’ai jamais trouvé beau mais aujourd’hui avec les rayons timides du soleil il a l’air plus tendre que d’habitude. Je ne sais pas, malgré les bouchons sur la voie, les enseignes des magasins qui gigotent dans tous les sens à leur habitude, les petits vieux qui prennent le trottoir pour eux tout seul, les enfants qui font des caprices pour pas aller à l’école; malgré tout ce remue-ménage matinal je trouve que la rue à du charme. Je deviens folle. Si y a bien une chose que je rêve de fuir c’est cette violence citadine. C’est décidément n’importe quoi là haut.

Le bus arrive coupant court à mes divagations. Bonjour monsieur le chauffeur un ticket pour un au revoir. Je m’enfuis vers le fond du bus, je n’ai même pas le courage de monter à l’étage, on y voit trop bien. Je mets mon casque sur les oreilles, m’enfermant pour une trentaine de minutes dans un mensonge. Tout va bien, rien de plus normal. Souris, le soleil t’accompagne.

Le bruit d’une ambulance se fait entendre, cette sirène hurlante me sort de mes pensées. Levant la tête je me retrouve en face à face avec le jardin botanique. J’aurais bien aimé voir à quoi il ressemble au printemps, ce sera pour une autre fois.

Balivernes. On sait tous que c’est des paroles en l’air. Aujourd’hui tu dis au revoir et tu sais qu’il n’y aura pas de retour. C’est la fin.

Le bus reprend sa route et je retourne dans ma bulle pour quelques instants; dans deux arrêts je dois descendre. Quelqu’un d’autre demande le stop, c’est peut être mieux, vu mon état j’aurais pu être capable de ne pas le demander et dieu sait ou je me serais retrouvée; en plus avec mon sens de l’orientation minable je n’étais pas prête d’arriver.

Je zigzague cinq minutes entre les passants – pas forcément pressés – avant d’arriver devant la porte. C’est la dernière fois, ce soir tu ne l’auras plus. Je prends une grande inspiration et passe ma carte pour déverrouiller la porte. Je passe les deux paires de portes coupe-feu et j’arrive dans le petit hall avec son imposant crâne de baleine, ses peintures naturalistes et le grand escalier en pierre.

Je souris en me rappelant que le premier jour j’avais été plus qu’impressionnée par la décoration et aujourd’hui elle me procure un sentiment de sécurité idyllique, allez savoir pourquoi.

Je grimpe les escaliers pour arriver au deuxième étage et croise le regard presque bienveillant de Darwin. Un sentiment de sécurité indescriptible je vous dis. Je repasse encore une porte coupe feu avant de m’engager dans ce couloir jauni avec le temps, je le suis jusqu’au bout pour attendre mon bureau; la dernière porte sur la gauche, le F26. Tous mes compagnons de journée sont dans des contrées plus chaudes pour observer des piafs. J’ouvre la porte et j’entre dans ce grand bureau où je passerai ma journée seule. Ou presque. Soyons honnête, parfois mon ordinateur à un sale caractère.

Je m’installe à mon habitude face à cet immense squelette de baleine installé dans le musée dont on a une vue imprenable depuis ma place. Elle, par contre elle m’impressionne toujours autant. De nuit ou de jour, par pluie ou grand soleil, elle est toujours aussi majestueuse.

J’ai une petite heure avant la pause thé que je ne manquerais pour rien au monde. J’entreprends de réorganiser mes données pour les copier sur un disque externe ; dans l’hypothèse qu’un autre étudiant ai l’idée farfelu de continuer le projet.

Il est presque onze heures, d’un moment à l’autre un doctorant va se pointer sourire aux lèvres « tea ? » J’ai juste assez de temps pour imprimer mon billet de train pour demain. Y’a pas à dire la fin se fait sentir, un peu comme un fruit qu’on a oublié et qui a commencé à muter.

On monte à quatre cinq dans la salle de repos. Les nouvelles machines sont classes alors même si c’est cher je me laisse tenter. Je m’installe avec les autres, mais bon dieu que c’est dur de ne rien laisser paraître. J’écoute d’une oreille les conversations ; un peu de tout un peu de rien. Alors je laisse glisser mon regard sur leurs visages, pourvu que je mémorise leurs sourires leurs fossettes, leurs premières rides, leurs barbes bien entretenues – ou pas d’ailleurs. Permettez-moi de créer ses portraits éphémères qui m’aideront à avancer.

Puis la pause se fini on se revoit à la pause déjeuner. En retournant dans mon bureau je me motive pour aller au magasin. Ça va être dur de la faire, mais tu sais bien que si tu ne le fais, pas tu le regretteras.

Dans le rayon cartes je tique. Nom de non, ce que cet étalage peut être sexiste. Les cartes pour elle roses et pailletées. Les cartes pour lui bleues avec des petits mots doux niveau Robert du pmu dans le fin fond de la campagne picarde. J’arrive malgré tout à trouver une carte de remerciements avec un petit dessin mignon, au milieu des cartes de condoléances. Passons.

Je chope un repas préparé à mettre au micro-ondes pour ce midi et un scone, parce que même si ce n’est pas ce que je préfère j’ai envie de me faire croire que je bouffe local. Donc pour le midi lasagnes et scone. Pour le côté rustique on repassera.

De retour au bureau je rédige mon petit mot de remerciement sur Word, parce que la faute de grammaire dans ce genre d’initiative ça gâche un peu trop le plaisir à mon goût.

On vient me chercher pour le lunch. J’aime bien ce mot il sonne bien. On monte et je mets mes lasagnes au micro-ondes. On commence à discuter. Je ne sais pas pourquoi je me sens mieux. On s’installe à table et on commence à papoter comme à notre habitude. Personne n’évoque mon départ. Ça me fait plaisir qu’on ne se focalise pas là-dessus et qu’on discute normalement.

En retournant vers les bureaux on me propose de faire une photo. En trente secondes tout le monde est dehors sourire aux lèvres. Ils ont des tonnes de choses à faire mais ils ont pris la peine de sortir pour faire une petite photo avec moi. Je sais que c’est rien et que c’est tout bête, mais ça me touche énormément. Je suis tombée dans une équipe en or, j’ai été vraiment chanceuse.

Chacun retourne à ses activités et moi à mon petit mot. J’ai vu ma maître de stage hier et comme d’habitude elle a été fantastique. Pour mon départ elle m’a offert un sublime livre de cours. Je n’ai pas les mots pour décrire le respect que je lui porte. Elle vient juste d’accoucher et elle m’invite chez elle pour parler du projet en s’excusant de ne pas pouvoir sortir. Bien qu’une partie de moi me hurle qu’elle est complètement tarée une grande partie admire sincèrement la chercheuse qu’elle est.

Je dois admettre que je suis plutôt contente qu’elle ne soit pas là aujourd’hui. Hier elle m’a mise au bord des larmes avec son petit mot et son bouquin, aujourd’hui j’aurais craqué. Alors je suis bien contente de pouvoir lui écrire cette petite carte pour lui dire combien je lui suis reconnaissante, même si mon niveau d’anglais édulcore pas mal mon ressenti.

Je vais dans son bureau et j’y dépose la carte, la clé USB avec les données, les livres que je lui ai empruntés, et deux tablettes de chocolat parce que les mots c’est bien mais le chocolat c’est mieux.

Je ferme une dernière fois ce bureau. Adieu petites plantes que j’ai assoiffées et noyées, veuillez m’excuser j’ai jamais eu la main verte. Je vais voir une collègue pour lui laisser s’occuper de ses êtres d’oxygène –  probablement bien mieux que moi.

J’ai encore des livres à rendre à la bibliothèque et puis des bricoles à droite à gauche. Il faut que je bouge les fesses, j’aimerais bien assister à la conférence de 16h.

15h50. J’ai fini de regrouper mes affaires et nettoyer mon petit espace. Il est prêt à accueillir quelqu’un d’autre. Sac sur le dos et clé dans la main je soupire. Fini. J’éteins les lumières et ferme pour la dernière fois cette porte en bois. Adieu.

Le cœur lourd je vais rendre mes clés et ma carte. On me rend mes 5£ en échange de mon précieux accès. C’est fini.

Je me faufile dans la salle de conférence pour la dernière fois et profite de cette chance incroyable d’avoir cet accès gratuitement à la connaissance. Ça va me manquer.

On dépense des milles et des cents pour s’entre-tuer mais on galère à apporter ce savoir gratuitement à tout le monde. Une fois quelqu’un m’a dit tu sais Lucyle les gens s’en foutent de la connaissance. Je dois être un peu trop rêveuse mais je n’arrive pas à croire que les gens s’en balancent. On leur a dit qu’ils étaient trop stupides pour apprendre ou faire mieux, et ils se sont résignés. Quelqu’un qui te dit que le savoir ne l’intéresse pas est un mythomane. Après reste à savoir à qui il ment le plus; aux autres ou à lui même.

La conférence est finie c’est le moment que je regrette les plus : les au revoir. Je vais chialer. Je me connais une vraie fontaine.

Je commence mon petit tour. Merci pour tout tu es génial on reste en contact blablabla. Comme une machine je répète ces phrases simples. Un vrai petit robot. Mais au fond de moi j’y crois. Oui je les trouve sincèrement géniaux. Oui je les remercie du fond du cœur pour tous ces bons moments. Oui j’adorerais qu’on reste en contact. Et si on essayait ?

Le dernier au revoir est le plus dur. C’est le premier qui a fait un pas vers moi et qui a discuté avec la française avec un niveau d’anglais minable que j’étais. Il m’a parlé et écouté en souriant sans me juger. Il a été le premier à m’aider à m’intégrer et ce dès le premier jour. Le même discours qu’avec les autres, je suis persuadée qu’il ne se rend pas compte combien je l’apprécie cet américain un peu barré. Je ne vais pas me mentir, c’est tant mieux. On se sépare et je quitte le bâtiment.

Je mets ma capuche sur la tête. Je vais pleurer. Je me connais je vais chialer comme une gamine alors autant que je me planque.

Après quelques pas j’enlève la capuche. Je ne pleure pas. Je suis triste de partir mais je ne pleure pas. Je ne suis pas triste ou dévastée à ce point.

J’avais peur de partir parce que pendant ces six mois j’ai retrouvé un équilibre émotionnel, physique et alimentaire. Pour la première fois depuis des années j’avais l’impression d’avoir trouvé ma place. Je pensais que j’allais tout perdre si je partais de là-bas.

Grâce à cette petite escapade de vie j’ai retrouvé ma confiance en moi. J’ai enfin découvert la personne que je suis. Et ce n’est pas un Eurostar ou une heure de décalage horaire qui vont me voler cette force.

Pour la première fois depuis des années j’ai l’impression de pouvoir dire honnêtement :

Je vais bien

Je repars avec le sourire et au fond de moi une petite voix me dit on garde le contact, de toute façon tu dois un café à Sonia et deux bières à Darren, et chez nous les dettes ça se remboursent. 


Crédit photo

J’ai hésité à publier ce texte, pendant un long moment, plus de deux ans. C’est un texte très personnel, et du coup j’ai l’impression de faire un article 3615 my life inintéressant au plus haut point, un article autobiographique nul.

Et puis je sais pas, ce soir en attendant que le RER reprenne du service pour quitter le bureau, je faisais le tour dans mes dossiers et je suis retombée sur cet écrit. Je l’ai relu et ça m’a fait plaisir. Il m’a rappelé le fabuleux stage que j’avais fait et tous les bons souvenirs que j’y ai créé. Il m’a donné cette petite pointe de nostalgie positive qui fait du bien au moral. Alors je l’ai à peine retouché et le voici maintenant publié, comme pour remercier mon moi du passé d’avoir pris le temps de le rédiger.

Good Bye
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2 avis sur « Good Bye »

  • 7 juillet 2019 à 19h18
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    J’ai trouvé le texte un peu long mais comme ça me parle (je travaille moi-même en recherche) j’ai été jusqu’au bout 🙂 je me suis retrouvée en partie dans ce texte même si moi je suis du côté des personnes qui voient filer les stagiaires, doctorants et autres CDD et ça m’est arrivé d’avoir un pincement au cœur, cette nostalgie car la plupart du temps, on ne se revoit pas. C’est une des chances qu’on a dans mon type de boulot de rencontrer des gens fabuleux mais souvent pour un temps déterminé. J’ai parfois pleuré comme une fontaine mais cela apprend aussi qu’il faut profiter de chaque instant et des gens quand ils sont là 🙂 votre texte est bien écrit et les sensations nous sont bien retransmises. Bravo

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    • 7 juillet 2019 à 20h06
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      J’ai beaucoup hésité à publier ce texte, parce qu’il est très personnel et du coup je suis gênée ^^’ et c’est vrai qu’il est long ! Mais sur un coup de tête il est parti ! Je suis d’autant plus contente si j’ai réussi à vous toucher, vous qui êtes de l’autre côté de la barrière 😉
      Merci beaucoup pour vos retours !

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