Annette la violette aux gants blancs

« Et donc tous ces gens à l’étage sont payés à s’exploser le cerveau pour qu’on ne puisse pas utiliser notre magie, c’est bien ça ? »

Le gaillard à sa gauche resta silencieux, droit dans ses bottes – drôlement propres ses bottes au passage. Elle haussa les épaules, un gardien de prison ce n’est jamais vraiment bavard, il y avait même une rumeur qui disait qu’on leur coupait la langue pour être tranquille. Foutaises, sinon comment voulez-vous qu’ils hurlent sur les mauvais détenus de temps à autres. En admettant qu’il puisse y en avoir des bons.

Cette prison était vraiment rudimentaire. Certes, elle ne s’attendait pas à du grand luxe mais quand même, vu l’état des murs on pouvait certainement se choper la peste rien qu’en respirant. Encore heureux que la peste ne s’attrape que par le sang et non pas par l’air. Ah quoique …

Elle sautilla discrètement en direction du garde, hors de question qu’un champignon la transforme en cadavre. La montagne en armure se retourna violemment dans sa direction. Elle sourit ; ne sait-on jamais, un coup de foudre du bonhomme qui a les clés ça peut toujours s’avérer utile. Pour une évasion, par exemple.

Sauf que son regard, que l’on devinait bien plus que l’on ne voyait (avec un heaume sur le crane, la communication visuelle est plutôt limitée) était dirigé vers ses bottines. Elle aimait ses cuirs, elles attiraient naturellement les curieux.

« Elles sont splendides, n’est-ce-pas ? Je les ai eues à un prix défiant toute concurrence ! Du cuir de Dobhar-chú véritable et dieu sait combien c’est cher ! Cousues par un artisan de renom avec de l’ancienne mag- À la main ! À la main par un type tout à fait inconnu au bataillon ! Alors là ; personne, mais vraiment personne ne le connait ! Le pauvre ! Bah d’ailleurs c’est pour ça que je les ai eues pour une bouchée de pain ! Enfin une poignée de graine pour-
– Et les grelots c’était obligé ?
– Ma petite touche personnelle ! Vous aimez ? Normalement j’en ai beaucoup plus, rien que mon chapeau en compte plus d’une cinquantaine ! Mes amis se moquent de moi, ils disent que je ressemble aux lutins du père noël ; mais c’est idiot, tout le monde sait bien que- Eh bah dites-le si je vous ennui ! Pas obligé de partir au milieu d’une conversation comme ça ! »

Elle entama de grandes enjambées pour rejoindre le gardien – qui peut parler, ce qui prouve bien que les gens inventent vraiment n’importe quoi. Ils passèrent un nouveau croisement, le cinquième. La prochaine fois, au lieu de s’éclater à refaire le labyrinthe du Minotaure, ils feraient mieux d’investir dans un revêtement décent. Admettons que ce soit pratique de compliquer la tâche aux fugitifs, mais s’ils y laissent leur peau, quel est l’intérêt ? Il ne s’agit que d’un lieu de stockage pour les futurs pendus, s’ils meurent avant le jour J, la rentabilité est proche de zéro. Bon, avec une évasion aussi vous me direz.

« D’ailleurs, en parlant du bonhomme rouge qui livre des cadeaux aux gamins, je me suis toujours demandée : pourquoi, lui, il peut utiliser sa magie et pas nous ? Oui parce que le coup des lutins, entre vous et moi, on sait tous que c’est du pipeau. Donc du coup, pourquoi ? Il faut avoir une dérogation particulière ? Non, parce qu’au pire je peux dire que je fais des cadeaux aux mômes et tranquille, vous me laissez partir ! »

Pas de réponse. En même temps c’était compréhensible, il n’avait probablement pas la réponse. Et puis même s’il l’avait, il serait bien stupide de donner la combine à une multirécidiviste comme elle.

« Et puis pendant qu’on y est, il y a un autre truc qui me tracasse. Vous embauchez et entrainez de jeunes mages hyper puissants pour contrôler les magiciens comme moi, même si pour le coup je suis une magicienne ; passons ! Donc, pour contrôler des gens qui n’ont rien demandé, avant de les assassiner en public. Outre le petit détail du meurtre légalisé pour faire croire au peuple que vous le protégez ; ce qui entre nous, on me la fait pas voyez-vous… Bref, vous n’avez pas peur qu’un jour vos petits génies vous dézinguent la baraque ? Et puis je ne veux pas vous faire peur hein, mais ce n’est pas avec votre armure minable que vous pourrez vous protéger. Vous avez eu l’idée lumineuse de regrouper dans le même bâtiment des mages affiliés aux quatre éléments. Alors oui, je sais que tout cela est bien organisé, chaque mage est contrôlé par un mage de son élément antagoniste, donc en théorie vu que les aquatiques passent leur temps à essayer de noyer ceux volcaniques, qui eux même essayent de réduire en cendre les telluriques, qui eux sont occupés à étouffer les aériens, qui pour leur part vident de leur eau les aquatiques et on recommence ; je sais, en théorie, tout ira bien. Mais ça ne vous est jamais venu à l’esprit qu’un beau matin ils en aient mare de lutter pour leur survie tous les jours. On parle tout de même de tentative d’assassinat constante par un collègue. Ils pourraient, au pif, faire une petite révolte ? S’ils se regroupent, même juste deux d’entre eux, pas forcément tous, je ne donne pas cher de votre peau. »

Les couloirs défilaient sans fin, mais ils n’étaient toujours pas arrivés. Au 53ème croisement – ou peut être 320ième, elle avait vite abandonné l’idée de compter – elle commença à sentir cette atmosphère pesante, cette sensation d’étouffement, comme si on essayait de vous tuer à petit feu. C’était exactement ce qui était en train de se passer. Après avoir parcouru de long en large le bâtiment, ils étaient définitivement dans la bonne direction. Son sourire s’agrandit lorsqu’elle vit l’eau dévaler les murs.

Après de longues minutes de marche elle aperçue l’annotation, cellule 150 sur une porte. Elle commençait à trembler, le froid s’infiltrait en elle, l’humidité ambiante la prenait à la gorge, sa respiration se faisait de plus en plus difficile ; la mélodie de ses grelots était maintenant rythmée par les gouttes d’eau s’écrasant sur le sol poisseux. A côté d’elle le gardien activait le pas, inquiet. Les histoires de mages qui pètent un câble lorsqu’on les torture se comptent par millier, certains se transforment en vraies bombes humaines, détruisant tout sur leur passage. Si son métabolisme ne lui drainait déjà pas toute son énergie pour maintenir son corps à 45°C, elle aurait ri. Au final même les plus costauds du gouvernement étaient comme tout le monde ; personne ne veut mourir.

Cellule 450. Elle commença à paniquer, on ne l’avait jamais amenée au-delà du 450ème degré. Personne ne veut mourir, elle incluse. L’eau lui arrivait au bassin, lui brulant la peau, étouffant le son de ses clochettes dorées. Son élément n’appréciait pas que son réceptacle soit plongé dans la magie de son antagoniste et lui faisait payer le prix. Sa tête tournait et elle avait bien du mal à maintenir ses mains hors de l’eau – la chaine les reliant pesant son poids. Combien de temps allaient-ils encore marcher ? Combien de degrés allaient-ils passer avant de s’arrêter ? Son élément allait-il supporter ce surplus d’eau ? Allait-elle survivre ? Certes les cinq fois d’avant, elle s’était enfuie. Mais ce n’était pas une raison pour que les mages, à la botte des autorités, aient sa peau avant le bourreau.

Bon et puis admettons qu’elle survive, dans quel état allait-elle finir ? Elle n’était pas spécialement adepte des sorties en bikini, mais elle avait déjà mis un certain temps à s’habituer à ses jambes couleur lavande, alors l’idée d’étendre la surface lui plaisait moyen.

Le garde s’arrêta, elle leva la tête et aperçue une porte grande ouverte, ils étaient enfin arrivés. L’eau lui arrivait juste sous les seins, mais elle ne la sentait plus. Son monde devenait flou, elle était clairement incapable de déchiffrer les écriteaux sur la porte, sans parler que la seule mélodie qui tintait à ses oreilles était un long sifflement aigu. Dans l’air planait une douce odeur de menthe sauvage, celle qui pousse habituellement dans les montagnes de l’Est. Celle dans laquelle elle aimait s’endormir après une longue journée, au soleil couchant, juste après un repas léger en plein été.

Mais la réalité vint la frapper violemment, comment pouvait elle sentir une telle odeur en plein marécage ? De la menthe des monts arides ! Une hallucination, son corps commençait à la lâcher. Elle se forçait à garder les yeux ouverts lorsqu’on la frappa – réellement cette fois-ci. Elle se retrouva au sol, se tordant de douleur et d’épuisement. Elle espéra sincèrement qu’on la laisserait se noyer.

Avant de se rendre compte que l’eau avait disparu, elle fut remise sur pieds par deux mains humides la maintenant par les épaules. Elle cria de douleur, et essaya de s’échapper de cette emprise qui lui mordait la peau, injectant de la magie aquatique dans son corps. Elle sentait se déverser en elle le poison, aussi rapide qu’un torrent, aussi violent qu’un tsunami, dévastant tout sur son passage. Les yeux fermés, elle hurlait sa douleur et ne vit pas le nouveau coup arriver. Elle cracha du sang et sentit son corps se réchauffer beaucoup trop vite ; son élément réclamait sa vengeance. Pas étonnant, il fallait être particulièrement sûr de soi pour infiltrer sa magie dans le réceptacle d’un autre élément. Ou particulièrement suicidaire. Ou bien juste très con.

Elle sentit son corps s’enflammer – littéralement. Le mage aquatique vira ses mains de sa peau en gémissant. Elle se retourna et le vit se réduire en cendre. La disparition d’un magicien aquatique lui permit de respirer un peu mieux, certes pas au point de courir un marathon, mais suffisamment pour observer ce qui l’entourait. Un coup d’œil rapide lui permit de voir qu’il y avait un magicien aérien, un tellurique et un autre aquatique ; autant dire qu’il y avait de quoi faire une bonne séance de torture collective.

« Arrêtez tout !! »

C’était le garde qui avait crié, elle l’avait presque oublié celui-ci. Alors qu’elle était en train de se concentrer pour calmer son élément, les trois autres mages présents lâchèrent leur pression, et l’eau s’engouffra dans la cellule. Elle perdit l’équilibre et se laissa porter par les flots, arrivant par miracle à garder ses mains à l’air libre. Elle réussit à sortir la tête de l’eau et s’agrippa aux barreaux de la fenêtre. Son corps entier avait brûlé, et une partie brulait encore.

Mais le pire était à l’intérieur ; son élément tentait d’agir sur son métabolisme pour nettoyer les résidus magiques aquatiques. Elle n’entendit pas les mages partir ni les mots qu’ils prononcèrent, trop occupée à ne pas s’étouffer avec son vomi.

Les tremblements qui la secouaient faisaient vibrer les quatre grelots sur les bretelles de son soutien-gorge, seul rescapé de sa combustion avec sa culotte et ses bottines, produisant une douce mélodie. Son élément la plongea en hibernation en la berçant d’une douce odeur de menthe.

Ses sens se réveillaient doucement alors que des mains chaudes tentaient de lui enfiler un morceau de tissu informe. Elle était assise à même le sol, les mains toujours attachées. Elle leva la tête et ses yeux tombèrent sur un jeune homme tout à fait séduisant aux yeux rouge sang, un camarade. Enfin, plutôt un traitre qui allait l’envoyer au casse-pipe. Elle lui sourit mais il ne réagit pas. Décidément, dans cette prison, sociabilité n’était pas le mot d’ordre.

Il l’aida à se mettre sur ses jambes flageolantes dû au manque d’activité ; elle-même n‘avait aucune idée depuis combien de temps elle était séquestrée ici. Elle attrapa silencieusement son chapeau que lui tendait le jeune homme et le secoua ; aucun grelot n’avait été altéré, c’était déjà ça. Elle tressa rapidement ses cheveux roux et positionna le couvre-chef. Elle leva la main droite par habitude, mais avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit, l’esclave aux yeux rouges lui bloqua le poignet. Elle soupira. « Je peux avoir un miroir du coup ? » Il fut surpris de sa demande mais fit tout de même signe à ses collègues de lui en apporter un.

Son cœur manqua un battement lorsqu’elle vit le reflet de son visage. Elle était défigurée. Pas qu’il lui manquait un morceau, juste que sa peau blanche s’était effritée et avait laissé place à un revêtement rugueux violet. Elle se souvenait parfaitement qu’elle avait été submergée par l’eau emplie de magie, mais se retrouver devant le fait accompli lui tordit l’estomac. Qu’elle était laide. Elle repositionna mécaniquement sa natte et sa frange ; son chapeau impressionnait toujours autant, c’était déjà ça. Sans plus de cérémonie elle suivit le toutou des autorités. Au fond, il lui faisait de la peine. Emmener un camarade à la mort coûtait énormément, il fallait plusieurs mois pour retrouver la cohésion avec son élément ; elle savait combien c’était dur.

Ils parcoururent encore dans tous les sens ce dédale infini de couloirs, rythmé par le son de ses grelots, avant d’arriver au pied de la porte qui menait à l’échafaud. Un garde leur fit signe de monter sur la structure en bois de la place publique. Elle n’avait jamais compris cette lubie de faire en bois, avec l’avancée technologique il y avait probablement moyen de faire ça de façon un peu plus classe. On lui passa la corde autour du cou. En face d’elle, à l’écart de la foule, était assis un homme blanc, les yeux verts, le regard sombre, portant un manteau aux couleurs du pays : l’empereur. Elle plongea son regard dans le sien et sourit.

 « Annette, réprouvée par le conseil. Vous êtes ici présente pour répondre de différents actes : utilisation illégale de magie, escroquerie, contre bande, mais surtout pour le meurtre de 14 hommes, dont l’héritier de l’empire. Avez-vous une dernière parole ?
– Quand un pays préfère protéger ses violeurs plutôt que la justice c’est qu’il ne mérite pas l’obéissance de son peuple. » Elle avait parlé calmement son regard toujours ancré dans celui de l’empereur comme pour lui dire : Regarde-moi bien, je suis celle qui a tué ton fils, celui qui a violé nos sœurs.

On la positionna correctement et elle ferma les yeux, concentrée. L’odeur de la menthe refit surface, elle entendit les oiseaux chanter et ses clochettes rester silencieuses bien qu’en mouvement. Elle sentait la chaleur du vent et le sable brulant sous ses pieds. Elle entendit sa mère rire et vit sa sœur danser. Puis tout devint sombre et la voix rauque de son père raisonna : « Seul un mage maitrisant le point de rupture avec son élément peut prétendre être digne de celui-ci ». Alors son monde s’éclaira d’un feu ardent.

Elle ouvrit les yeux et sentit son élément la consumer et la libérer de la mort. Le bourreau n’avait pas encore activé le mécanisme, que des flammes firent leur apparition entre ses doigts, puis se propagèrent sur tout son corps, avalant la moindre parcelle combustible. Les langues de fureur incontrôlables bleues continuèrent leur course, transformant en brasier tout ce qui se trouvait sur leur passage.

Un sifflement se fit entendre et un oiseau de feu géant atterrit sur le sol désormais enflammé. Elle monta sur le dos de l’animal, puis lança un dernier regard à l’empereur paniqué, avant de s’envoler.

Une fois dans les airs, elle calma peu à peu son élément et ses clochettes se firent de plus en plus discrètes à mesure qu’ils s’éloignaient des mages. Elle félicita son compagnon de ses mains blanches, seules rescapées de ce voyage en eaux dangereuses ; on aurait pu croire qu’elle portait des gants. Peut-être que lorsque l’on conterait ses exploits elle deviendrait Annette la Violette aux gants blancs.

Mais avant, un thé à la menthe.


Petit texte écrit dans le cadre d’un concours SFFF organisé par Les histoires d’Amélia.  
J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette nouvelle qui est assez éloignée de mon registre de prédilection, et j’ai comme d’habitude eu un mal fou à la faire rentrer dans son nombre de pages imposé ! Mais je suis très fière du résultat !
Un grand merci à ma Chingu d’avoir passé des heures à relire et m’aider à fignoler le texte ! Coeur sur toi <3
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Annette la violette aux gants blancs
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