Le laborantin

L’odeur de putréfaction lui sauta au nez dès lors qu’elle passa la porte menant au sous sol. Ses collègues lui avaient fait un topo, mais “ça sent la mort” c’est difficilement appréhendable, il faut avoir le nez dedans pour s’en rendre compte. Derrière elle, les pas de Gérard faisaient craquer le vieux parquet. Elle jeta un œil par dessus son épaule et fut à peine surprise de voir aucune réaction de la part de son accompagnateur; depuis le début cet homme d’une quarantaine d’années ne lui inspirait pas confiance. Trop discret, trop timide, trop silencieux, trop docile, trop froid, en un mot trop étrange pour elle. De toute façon avoir un type comme lui dans son équipe ça ne lui plaisait pas du tout; l’idée que quelqu’un d’extérieur à la maison mette son nez dans une affaire ne la charmait absolument pas. Et puis il fallait voir ce qu’on lui avait refourgué, le laborantin de seconde zone. Elle ne voulait pas faire de comparaison mais à 29 ans elle avait une équipe sous ses ordres alors que la vie professionnelle de Gérard se limitait à nourrir des mouches et leurs larves. Niveau attractivité on avait déjà vu mieux. Ceci dit elle n’allait pas trop se plaindre, après tout aujourd’hui elle était bien contente d’avoir quelqu’un qui fait joujou avec les vers.

Ils arrivèrent en bas de l’escalier et tombèrent directement sur le cadavre. Un film blanc visqueux répugnant recouvrait le corps de la victime. Les larves continuaient de creuser ses joues alors qu’elles avaient déjà bien déchiqueté toutes les cavités accessibles. Elle n’avait pas de mal à comprendre pourquoi ses collègues lui avaient proposé gentiment de la laisser superviser le blaireau du CNRS, l’odeur nauséabonde avait de quoi réveiller un mort – sans mauvais jeu de mots. En plus de cette agression olfactive, il y avait cette sensation d’enfermement. Une pièce sans fenêtre, les murs recouverts d’un crépi blanc cassé vieillissant, et l’ampoule jaune pendant du plafond qui grésillait au dessus de leurs têtes apportaient leur touche cliché à l’ambiance morbide qui planait sur les lieux. Gérard s’installa directement à côté du corps et sortit son matériel, sans un mot. A croire qu’il avait fait ça toute sa vie. Elle le regarda sortir les bestioles, les mesurer, les mettre dans un flacon puis gribouiller dans son carnet. Une machine bien rodée, trop même. Cette puanteur lui donnait clairement la nausée et même si ce n’était pas son premier macchabée, la vue de ce pauvre môme décomposé la mettait mal à l’aise – sans parler des manipulations on ne peut plus ragoûtantes du rat de laboratoire. Elle devait sortir – on évite de vomir sur une scène de crime.

“Si vous voulez sortir un peu pour vous aérer n’hésitez pas.
– Je m’en passerai.”

Tellement froid. Pas de sortie à la lumière naturelle et à l’air frais du coup. Elle maudit son nouveau médecin légiste, spécialisé en blessures par balles. On payait un médecin légiste à plein temps pour un meurtre tous les 36 du mois et quand enfin on avait besoin de lui, il n’y connaissait rien ! Spécialisé en blessure par balle ! Franchement il s’était cru dans une série américaine ! On a plus souvent des meurtres à la hache qu’au fusil d’assault par chez nous ! Il avait intérêt à étudier le sujet sur les prochains mois, hors de question qu’elle ressorte le taré de son labo.

N’importe qui aurait cette horrible sensation que la faucheuse vous regarde en ricanant dans le coin de la pièce, mais pas Gérard. Non, Gérard avait l’air aussi détendu qu’un vacancier en plein bain de soleil.

Elle le vit sortir la langue et en extraire deux vers. C’était trop, elle courut vers le coin de la pièce et rendit son léger petit déjeuner.

“Vous auriez dû sortir, vous allez perturber tout l’écosystème; ça peut fausser les résultats
Merci capitaine Obvious, mais j’ai pas trop le droit de vous laisser seul ici.
– Alors quelqu’un d’une meilleure tolérance aurait dû m’accompagner.
– Je vous remercie de remettre en cause mes compétences, mais je suis la plus qualifiée pour garder un œil sur vous. Et entre nous, je pense que toute personne normalement constituée a ce genre de réaction après avoir été enfermée dans ce lieu sordide pendant plus d’une demi-heure.
– Je disais ça pour votre enquête.
– Concentrez vous sur les vers, et je m’occupe de la répartition de mon équipe.”

Il ne répondit pas. Elle n’arrivait pas à savoir si ça la soulageait qu’il se taise ou si ça accentuait son mal être. Elle s’assit sur la dernière marche et garda un œil distrait sur le laborantin. Après tout qu’est ce qu’il pourrait bien faire avec un cadavre de plusieurs semaines ? Si elle avait bien compris, il passait ses journées entre les carcasses de souris et celles de porcs, donc s’il avait des délires étranges, il avait largement de quoi faire sur son lieu de travail.

Au bout de deux heures Gérard rangea son matériel et s’approcha d’elle.

“Les larves ont entre deux et trois jours.” Elle dévisagea son interlocuteur abasourdie.

“Entre deux et trois jours ! Me prenez pas pour une quiche ! Ce môme est mort il y a bien plus longtemps !
– Je vois bien madame, mais mon boulot c’est d’identifier les larves pas de définir quand on a tué ce pauvre gamin; ça c’est votre part du travail.
– Vous vous foutez de ma gueule ! Vous avez torturé ce gosse pendant plus de deux heures et tout ce que vous me pondez c’est que les larves ont deux ou trois jours ! Sérieusement ! Vos supérieurs m’ont vanté vos talents en entomologie; mais c’est d’une inutilité ! Vous voulez que je fasse quoi avec : bah les bestioles qui lui sortent par les trous de nez elles ont deux ou trois jours !
– Et de l’anus aussi.
– Et de l’anus si ça vous fait plaisir ! Ça m’avance en quoi?! C’est pas vos petites expériences sur les cochons qu’on fait ici ! C’est la réalité, avec un vrai mort, avec une vraie affaire à résoudre ! Si vous n’avez rien d’autre à ajouter partez, j’ai déjà perdu assez de temps avec vos gamineries.
– Et à qui je fais mon rapport ?
– Vous venez pas de le faire a l’instant ?
– En partie.
– En partie ? Vous attendez quoi pour m’annoncer la suite ?!
– Bien madame. On retrouve des larves dans l’anus ainsi que des pupes de deux semaines dans des cicatrices sur le côlon. L’hypothèse du viol ne doit pas être exclue. La présence de certaines espèces laisse à penser que le corps a été déplacé il y quatre ou cinq jours d’un lieu chaud et humide. J’ai également retrouvé des cadavres d’adultes qui peuvent montrer qu’une myiase était déjà présente il y a un peu moins d’un mois; probablement à cause d’un problème d’hygiène ou de malnutrition. C’est toutes les informations que l’inutile peut vous fournir, maintenant si cela ne vous dérange pas je vais retourner jouer avec mes cochons morts.”


Atelier d’écriture du mois de Mars de jedeviensecrivain.com

Mois de mars, mois des polars parait-il; du coup il faut un cadavre. Sauf que la découverte de corps sans vie c’est pas vraiment mon domaine d’expertise… Je trouve les gens vivants beaucoup plus intéressants quand même. Déjà rien que quand on les insulte, c’est quand même plus marrant avec un vivant. Bref du coup j’ai mis du temps à m’y mettre et après pouf ! Plus de 6600 signes … Pour un texte qui ne doit pas en dépasser 2000 j’ai visé beaucoup trop large. Encore une fois.

A ceci vous ajoutez une panne d’internet pendant tout le week-end et un temps merveilleux dehors, autant dire que passer mon texte à la tronçonneuse ça me motivait très moyen.

Oui, j’essaye de me trouver des excuses valables alors que tout le monde le sait, c’était de la fainéantise pure.

Du coup j’ai loupé la dead line, du coup il est que sur le blog.

Il y a pas mal de personnes qui ont participé ce mois-ci, j’avoue que je n’ai pas encore eu le temps de m’y plonger sérieusement mais n’hésitez pas à y jeter un œil. (ici)

Crédit photo

Le laborantin
Étiqueté avec :    

2 avis sur « Le laborantin »

  • 4 avril 2017 à 16h14
    Permalien

    Pour quelqu’un dont ce n’est pas le domaine d’expertise, il y a de l’idée quand même 😉 j’aime bien le style, la profusion de détails qui nous aide bien à imaginer la scène, par contre j’ai des doutes sur la vraisemblance de certaines choses (appeler quelqu’un du CNRS sur une scène de crime par exemple?) après ces détails là, ça se travaille et c’est justement en ça que les ateliers sont intéressants. Et d’ailleurs, je comprends pourquoi vous êtes frustrée c’est parce que vous essayez de raconter une histoire alors que l’atelier je pense est là pour nous aider à aller à l’essentiel, sans forcément s’ancrer dans quelque chose de précis. Du coup, je pense que l’idée de mettre la version courte sur JDE et la version longue ici est pas mal. En tout cas, je continuerai à suivre 🙂 bonne continuation ! 🙂

    Répondre
    • 5 avril 2017 à 14h44
      Permalien

      Merci pour ce beau commentaire ! Je suis contente que cela vous ai plu !
      Pour la vraisemblance vu que je ne connais pas du tout le milieu et que je ne lis pas ce genre, je me suis rattachée à ce que je connais le plus dans le domaine de l’enquête : l’entomologie médico-légale, en sachant que je ne connais que la partie insecte. Mais aller chercher un membre du CNRS pour une enquête c’est effectivement peut être un peu à côté de la plaque …
      Je vais essayer de continuer à retravailler mes textes pour les poster sur JDE parce que même si c’est difficile de sacrifier ses mots, c’est un excellent exercice de concision.
      En tout cas merci beaucoup, j’ai aussi beaucoup aimé le votre, mais j’ai pas l’habitude de prendre le temps de laisser un commentaire ^^’

      Répondre

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :