Hello ~
J’espère que vous allez bien. Il y a quelques jours Justine Savy a demandé des témoignages pour son podcast Aujourd’hui j’écris. Le thème était « écriture et confinement ». Je me suis proposée dans l’idée de faire un petit texte et faire entendre ma voix, la voix de ceux qui ne croulent pas sous le temps libre. Et puis … bon … je me suis carrément emportée …
Un texte long, brut et très intimiste. Du Lucyle dans toute sa splendeur ! Justine a été adorable et a accepté le texte tel quel ! Elle en a fait une magnifique version audio que vous trouverez dans son épisode de podcast avec d’autres témoignages juste ici :
Si vous n’êtes pas fan de l’audio voici la version écrite :
Contrairement à la majorité des personnes, ce confinement me donne plus de travail. J’anime des TD à la fac et suivi pédagogique oblige je me retrouve à lire et corriger des pages et des pages d’exercices. Alors qu’en classe, je fais la correction au tableau et je demande s’il y a des questions ; actuellement je me retrouve à faire des retours personnalisés sur chaque copie. Et en toile de fond, j’ai ma thèse qui doit avancer. Bref, j’ai bien plus de travail qu’à l’habitude, et donc moins de temps libre.
Cependant, j’ai été prévoyante ! Je sais que si je n’écris pas, cela commence à affecter mon moral sévère. Je me suis donc réservée un créneau pour l’écriture. N’ayant plus de transports, j’ai gardé mon horaire de lever habituel et j’essaie d’écrire le matin avant de commencer ma journée de boulot, entre trente minutes et une heure. Il m’arrive d’écrire le soir, mais plus rarement, la fatigue prend vite le dessus.
Et ce confinement alors ? Au début, cela ne me posait pas de problème. Mais après plus d’un mois enfermée, je dois admettre qu’il y a une certaine lassitude. Ce n’est pas tant que je ne puisse pas sortir, c’est surtout l’espace mental que prend cette épidémie. Même en limitant l’accès aux informations au strict minimum, mon esprit est sans cesse grignoté par le covid. Tout le monde ne parle que de ça.
Constamment.
Chaque coup de téléphone aux proches ou aux collègues, bim coronavirus. Envie de faire un tour sur les réseaux sociaux ? Si, par chance, tu échappes aux publications alarmantes ou celles qui se plaignent du confinement (ou qui se plaignent de ceux qui ne respectent pas le confinement), pas d’inquiétude la plateforme s’en occupe avec ses multiples appels aux dons. Pourquoi ne pas regarder une vieille vidéo sur YouTube, histoire de te détendre ? Si seulement ! A peine ouvert, le site te balance les replays des émissions de télé qui tournent en boucle sur le sujet ! Même Spotify s’y est mis, avec une fenêtre pop-up pour te rappeler encore et encore cette épidémie !
Alors oui, il y des jours où au lieu d’écrire, je me retrouve à chercher des tutos pour faire un masque ou bien je me perds dans le néant des sites d’informations. C’est comme ça qu’on commence une journée avec le moral dans les chaussettes. Et quand tu es au plus bas, il y a toujours un imbécile qui trouve intelligent de te rappeler que : « Tu sais, eh ben Newton, il a développé sa théorie de la gravité pendant qu’il était confiné ! ».
Tu veux qu’on parle de quoi ? De l’échec de mon Camp Nano ? C’est ça ? Des pauvres 6000 mots que j’ai arraché avec violence de mon clavier ? De mon travail ? Du retard que j’ai accumulé dans mes corrections de copies ? De mon manuscrit qui n’avance pas d’un chouïa ? Des heures que j’ai passé à scruter mon écran en espérant que quelque chose se produise ?
Il parait que le bonhomme a eu l’illumination, en regardant les pommes tomber des arbres dans son jardin. C’est peut-être ça mon problème : les pommes je ne les vois pas tomber. Par ma fenêtre, je vois le local poubelle et les boxes des voisins. Vous avez dit jardin ? Quand j’ai la chance de sortir, c’est pour faire la queue pendant une heure sur le trottoir, en attendant sagement d’avoir l’autorisation de rentrer dans le magasin et faire mes courses. Je pourrais en faire des rêves érotiques de ces foutus pommiers.
Non.
Non.
Non.
Le problème ce n’est pas d’être enfermée, je le vis bien. Le problème ce n’est pas les autres non plus. Après tout, moi aussi, je ne parle que de ce virus à longueur de journée. Le problème… C’est que je n’arrive pas à voir où est le problème…
Pourquoi je suis fatiguée à ne rien faire ? On a déjà plus de pain ? Je vais faire des cookies ça va me remonter le moral. Ah non, on a dit qu’on garder les œufs pour les faire au plat. De toute façon, t’as déjà pris 3kg depuis le début du confinement, t’as encore envie de bouffer des cookies ?! Est-ce que j’ai vidé la litière du chat ? On ne devrait pas changer les draps ? D’ailleurs, ça fait combien de temps que j’ai le même soutif ? Est-ce que j’ai mis un soutif au moins ?
Je crois que j’en ai ras la casquette de ce confinement.
Tout m’épuise.
Alors que je baisse les bras, je vois Rose sur les bords de Seine. Elle est assise sur un banc de la capitale, ses cheveux bruns au vent. Elle n’est pas confinée, elle attend. C’est qu’elle est en train de tomber amoureuse la petite.
Je ne peux pas la laisser comme ça.
J’attrape mon ordinateur et j’aligne les mots. Je rentre dans ma bulle et guide Rose vers sa destinée. Chaque mot écrit balaye mes tracas. Mon Camp Nano n’a pas été catastrophique, j’ai bien avancé vu les circonstances exceptionnelles. Les étudiants peuvent bien attendre deux jours de plus pour leurs copies. Et puis vu leur masse de travail, je ne suis même pas sûre qu’ils aient remarqué que j’avais du retard.
Je ne suis pas Newton, je ne vais pas révolutionner le monde pendant le confinement. Mais je fais de mon mieux pour le vivre sereinement et ça passe par écrire autant que possible. Peut-être que ma nouvelle ne sera pas finie à temps. Peut-être qu’elle ne plaira à personne.
Qu’importe, je prends du plaisir à l’écrire et elle m’aide à ne pas sombrer.
L’écriture a toujours été une bouée à laquelle je me suis agrippée. C’est d’autant plus vrai en ces temps orageux.
Ah, je me rappelle : j’ai changé de soutien-gorge hier.
Image par StockSnap de Pixabay
PS : Je sais que je fais partie des privilégié·e·s pendant cette épidémie. Ce texte n’est que le miroir de mon ressenti et n’a pas pour vocation à me plaindre. Au contraire, je suis reconnaissante d’avoir le luxe de m’appesantir sur mes petits tracas sans conséquence.
PS 2 : J’ai hésité avec une photo de pommier, mais cette super rangée de sous-vêtements m’a totalement convaincue !