L'affreuse petite bête

Ça y est, je viens de me faire dépouiller.

En un clic je viens de me faire dépouiller. Pas littéralement certes, mais virtuellement. Ça ne fait pas mal et les séquelles sont minimes, je l’avoue. Mais n’empêche ; on vient de prendre possession de tout ce que je suis, en une fraction de seconde. 

Alors oui, on ne m’a pas retiré la peau à proprement parler. C’est le prix à payer pour un service performant et gratuit semblerait-il ; dans le fond, rien n’est gratuit.

Si ce n’est pas un dépouillage c’est de la prostitution. Je viens d’offrir mon image, mes goûts, mes envies pour un moyen de communication. Un échange équitable, j’imagine. Ma vie contre votre application ; deal acceptable au 21ème siècle. 

Répertoire, sms, mms, journal d’appels, photos, musiques, vidéos, micro, caméra, informations sur le wifi, gps, Bluetooth, vibreur, statistiques de batterie, autres applications installées et j’en passe. Je viens d’offrir tout ça à une entreprise. En un seul clic. Je viens d’offrir à des inconnus plus que je n’offre à mon copain.

J’ai l’impression d’avoir transformé mon nouveau téléphone en espion. J’ai l’impression d’avoir une affreuse bête vicieuse qui me suit à chaque instant. Je la vois me regarder au loin, je la vois sourire quand mon téléphone vibre, je la vois se régaler des photos que je prends ou reçois. Cette petite bête affreuse, d’une vingtaine de centimètres, les yeux rieurs, les dents d’une blancheur parfaite, les fringues tendances, tirée par quatre épingles, trop propre sur elle pour être honnête ; je la vois se délecter de la situation.  

Assise sur la petite valise qui contient notre accord, tu te goinfres avec toutes mes données. Goinfre toi, explose toi la panse avec ma vie, je t’en prie. Un jour tu la vomiras peut-être, mais ne compte pas sur moi pour te laisser me croquer les os ; je n’ai pas signé pour le trafic d’organes. 

Profite de mon incompétence tant que tu le peux, mais reste sur tes gardes. Dès que je serais assez maline je te ferais disparaître. Ou pire je te ferais mienne. 


Image par Catkin de Pixabay

Encore un fond de tiroir qui traînait. J’ai changé l’angle d’approche du début qui ne me convenait plus. J’espère que c’est resté cohérent !

L'affreuse petite bête
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